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La régionalisation avancée

de Mehdi Rais

le nouveau mode de gouvernance territoriale au Maroc

La question de la gouvernance territoriale a toujours été au centre du débat politique au Maroc. En effet, le Royaume s’efforce jusqu’à présent de mettre en œuvre une stratégie adéquate lui permettant d’approfondir la démocratie locale. Après plusieurs années de réformes et de changements, le Maroc a optée pour le processus de la régionalisation avancée, comme mode de gestion territorial.

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La politique de la régionalisation avancée n’est pas hasardeuse, au contraire, elle est la résultante d’une longue évolution ayant marquée la décentralisation administrative au Maroc. De ce fait, on ne peut comprendre la ténacité de la régionalisation sans analyser au préalable l’évolution du processus de la décentralisation au Maroc (I). Cette expérience a permis au Royaume d’assurer le passage du stade de la décentralisation à l’étape de la régionalisation (II).

I-L’évolution du processus de la décentralisation au Maroc :

Le processus de la décentralisation au Maroc n’est pas né d’ex-nihilo, il résulte d’une véritable évolution spatio-temporelle effectuée progressivement dont les jalons ont été déposés dès l’indépendance. Plusieurs étapes ont été nécessaires avant l’instauration définitive de la décentralisation comme mode de gouvernance territoriale au Maroc (A). Aujourd’hui, le Royaume semble avoir dépassé le stade de la décentralisation pour s’inscrire davantage dans une vision stratégique marquée par la dynamique de la régionalisation avancée (B).

A-La décentralisation comme mode d’organisation administrative au Maroc :

Au lendemain de son indépendance, le Maroc s’est efforcé d’établir un mode de gouvernance territoriale caractérisée par une organisation administrative décentralisée. Déjà en 1959, l’instauration du processus de la décentralisation a été effectivement entamée. En effet, le Dahir du 2 décembre 1959 a posé les germes fondateurs de la première organisation communale au Maroc. Ce Dahir Royal se rapportant à la division administrative du territoire marocain a permis la création de 801 communes urbaines et rurales.

En 1960, une charte communale fut adoptée afin de réglementer les prérogatives et les compétences des communes. A cette période, le processus de décentralisation n’était qu’à sa phase initiale, ce qui justifie le régime assez restreint adoptée par cette charte en matière des compétences allouées aux communes qui étaient soumises à la tutelle de l’administration centrale.

Dans la continuité de ce processus, le Maroc a adopté en 1962 un texte constitutionnel, le premier depuis l’indépendance. Celui-ci a instauré une nouvelle architecture administrative au niveau local à travers la mise en place des préfectures et des provinces. Ces derniers s’ajoutant aux communes ont permis le renforcement de la politique de la décentralisation au Maroc. C’est la première génération de la politique de la décentralisation au Maroc dite « déconcentration ».

Dans cette même dynamique, une nouvelle charte communale a vu le jour en 1976. Elle vient entériner le choix démocratique du Maroc en organisant les premières élections communales. De même, une panoplie de compétences étatiques ont été déléguées aux collectivités territoriales, notamment dans le domaine de la fiscalité, TVA… De plus, les Instance locales bénéficient, en vertu de cette Charte, de l’assouplissement du régime de la tutelle et disposent, en conséquence, d’une marge de liberté importante leur permettant d’exercer leurs prérogatives dans le cadre de la démocratie représentative. Il en résulte que le rôle des communes, des préfectures et des provinces s’est considérablement accru à la fin des années 70

En 1992, le processus de la décentralisation a été renforcé suite à la réforme de la Constitution. En fait, la modification du texte constitutionnel a ouvert la voie à la mise en place d’un nouveau régime communal avec la création sur le plan national de 668 nouvelles communes. Il faut noter aussi qu’à cette période, l’exercice de la tutelle par l’administration centrale a été progressivement limité.

En outre, la réforme constitutionnelle de 1996 constitue un tournant majeur dans la mise en œuvre du processus de la décentralisation au Maroc. Pour la première fois, les responsables marocains reconnaissent aux régions, le statut officiel de « Collectivité territoriale » avec toute la dimension juridique que cela suppose. Il s’agit d’une phase très importante caractérisée par la mise en place de la régionalisation comme vision stratégique du Maroc.

B- L’élaboration de la vision de la régionalisation au Maroc

L’intronisation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI a donné un souffle nouveau à la dynamique de la décentralisation au Maroc. L’attention est portée sur les moyens humains et financiers des collectivités territoriales. Ainsi, une nouvelle charte communale a été adoptée en 2002. Celle-ci se caractérise par l’amélioration du statut de l’élu local. Ce texte communal se focalise également par une recomposition des organes intérieures des communes et la redéfinition de leur rôle. En ce qui concerne la tutelle, un allègement très important fut appliqué et une vision de régionalisation commença à s’installer progressivement.

En effet depuis 2002, les régions sont considérées comme les moteurs du développement économique du Royaume. A cet égard, une première décomposition régionale du territoire nationale a permis la création de 16 régions.

Par ailleurs, l’évolution majeure du système de la décentralisation au Maroc a été réalisée le 6 Novembre 2008. Dans son discours à l’occasion de la Marche Verte, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a annoncé le lancement du chantier de la régionalisation avancée en déclarant : « Nous procédons aujourd’hui à l’installation de la Commission Consultative de la Régionalisation. C’est un moment fort et solennel. Nous considérons qu’il marque le lancement d’un chantier structurant, dont Nous voulons qu’il constitue un tournant majeur dans les modes de gouvernance territoriale. Nous entendons également en faire un prélude à une nouvelle dynamique de réforme institutionnelle profonde. De ce fait, la régionalisation élargie escomptée n’est pas un simple aménagement technique ou administratif. Elle traduit, plutôt, une option résolue pour la rénovation et la modernisation des structures de l’Etat, et pour la consolidation du développement intégré ».

En s’appuyant sur cette dynamique, de nouvelles réformes ont été introduites, en 2009, dans la Charte communale adoptée en 2002. Cela concerne, plus particulièrement, le domaine de la coopération et du partenariat, l’adaptation des outils de gestion du patrimoine communal et la modernisation de la gestion financière des collectivités locales. Sur ce point, une loi sur l’organisation de la Fiscalité fut adoptée. Elle permet l’allègement de la tutelle sur les régions par la limitation de certains actes nécessitant une approbation préalable de l’administration centrale, d’autres activités budgétaires ont été reconnues comme des prérogatives des collectivités locales exercées de manière autonome sans recours à la tutelle. L’objectif étant d’assouplir les règles budgétaires et permettre aux collectivités locales, notamment les régions d’adopter le budget au cours de l’année, sous le suivi de l’audit interne à la circonscription concernée.

Cependant, faut-il attendre l’adoption de la nouvelle constitution, le 29 juillet 2011 pour constater l’évolution majeure du processus de la décentralisation au Maroc. En effet, le nouveau texte constitutionnel apporte une nouvelle perspective du processus de la décentralisation. Désormais, le Maroc s’est engagé dans un schéma de la régionalisation avancée faisant de la région la collectivité locale la plus importante aussi bien du point de vue juridique que sur le plan des compétences.

Devant cette situation, se pose la question suivante : « Comment le Maroc assure-t-il le passage de l’approche de décentralisation vers le processus de la régionalisation avancée ? »

II- De la décentralisation à la régionalisation avancée :

En matière d’organisation territoriale, la régionalisation est une forme de décentralisation au profit des régions. Par le biais de ce système, l’Etat central accorde aux instances régionales une grande marge de manœuvre administrative et financière en vertu du principe de la subsidiarité. Le choix stratégique du Maroc d’appliquer le processus de la régionalisation avancée se trouve son fondement juridique dans la Constitution et dans les lois organiques s’y afférents.

La politique de la régionalisation se justifie également par plusieurs avantages très importants. En effet, la gouvernance régionale entérine, en effet, le développement de l’Etat de droit par le biais du renforcement de la démocratie participative et représentative. Cela permettra au Maroc d’assurer davantage la modernisation de sa structure administrative, et par conséquent, d’instaurer le principe de la territorialisation des politiques publiques. Se pose, ainsi, la problématique suivante : « Quelles sont les réalisation du Maroc en matière de régionalisation avancée ? ».

La réponse se trouve nuancée. Cependant, il serait très utile d’examiner l’état d’avancement du processus de la régionalisation au Maroc (A) et identifier les limites et les perspectives de ce projet très ambitieux (B).

A-La régionalisation avancée au Maroc : un état des lieux

Le système de la régionalisation avancée constitue une assurance pour le Maroc de développer encore davantage la démocratie locale en mettant en œuvre les règles de la bonne gouvernance. Conscient de cette situation, les responsables marocains s’efforcent de concrétiser le processus de la régionalisation sur le territoire nationale. De ce fait, plusieurs réalisations ont été effectuées aussi bien sur le plan territorial, institutionnel que législatif.

  • Sur le plan territorial, le Maroc a procédé à une reconfiguration du la décomposition administrative du territoire en réduisant le nombre des régions dont le nombre était de 16. Désormais, le Décret n°2-15-40 stipule que le territoire du Royaume est composé de 12 régions définies selon des critères démographiques, géographiques, économiques et culturelles.

  • Sur le plan institutionnel : Le système de la régionalisation avancée apporte une nouvelle configuration institutionnelle au niveau locale. A cet égard, il s’agit de distinguer entre 3 grands organes : Le conseil régional, le Conseil de la ville et les communes. En premier lieu, se trouve le Conseil régional. Il est présidé par le Président du Conseil régional qui dispose d’une administration régionale autonome. Les prérogatives du Conseil régional sont multiples mais peuvent être regroupés en 3 catégories : le Développement économique, la Formation continue et le développement rurale.

En second lieu se situe le Conseil de la ville qui a conservé les mêmes prérogatives qui lui sont allouées dans la Charte Communale.

S’agissant des communes, leurs compétences ont évoluées. Ces dernières disposent des compétences propres notamment l’élaboration d’un plan d’action communal, l’urbanisme, les infrastructures et les équipements collectifs. Les communes exercent aussi des compétences partagées avec l’Etat comme par exemple le développement de l’économie locale, la promotion de l’emploi, les investissements privés, gestion du patrimoine communal…

  • Sur le plan législatif : 3 Lois organiques et 22 Décrets gouvernementaux destinés à la réglementation du processus de la régionalisation et fixant les procédures techniques ont été adoptés par le Maroc. Le tableau en annexe apporte un aperçu sur l’effort effectué par l’Institution législative dans ce domaine.

B- Les difficultés du processus de la régionalisation avancée :

Si la régionalisation a été toujours au centre des préoccupations, force est de constater que les réalisations n’ont pas atteints les résultats escomptés. En effet, le bilan du processus de la régionalisation au Maroc demeure très mitigé. Les raisons sont multiples, certaines sont d’ordre philosophique, d’autres relèvent plutôt d’ordre technique.

Du point de vue philosophique, la politique de la régionalisation avancée demeure victime de la logique de la décentralisation administrative avec des taches normalisées alors que la régionalisation suppose une véritable prise d’initiative de la part des élus locaux qui doivent prendre leur responsabilité en participant activement aux projets de développement et à la prise de décision dans la gestion de la chose publique au niveau locale. En effet, la libre administration demeure très limitée en raison du maintien de l’approche d’autocensure et de l’esprit de tutelle chez les élus locaux et les responsables régionaux.

Sur le plan technique, il existe un grand écart entre le contenu des lois organiques et leur application réelle sur le terrain. En effet, plusieurs régions n’ont pas encore mis en place « les structures administratives et exécutives » prévues par la loi n°111-14 de mai 2015. Il s’agit, en particulier, de la Direction des services et la Direction des Affaires du Conseil régional qui constituent des organes administratifs très importants. S’agissant de l’appareil exécutif de la région, les agences réglementaires d’exécution des projets régionaux ne sont pas encore instituées dans la majorité des régions.

Devant cette situation, il est tout à fait complexe de mettre en œuvre le projet de la régionalisation avancée. La volonté et l’ambition sont des conditions sine qua non pour la concrétisation de ce chantier de taille. A cet égard, S.M. le Roi Mohammed VI n’a pas manqué d’inciter, lors de son discours à l’occasion de la fête du trône, de s’activer davantage sur ce dossier, le Roi a également insisté auprès des différentes institutions compétentes de mettre en œuvre le projet de la régionalisation avancée au Maroc et de prendre les mesures nécessaires pour dépasser les nombreux obstacles nuisant à sa concrétisation.

Pour ce faire, il faut impérativement redoubler les efforts pour mettre en place les structures nécessaires à la réalisation de la politique de la régionalisation avancée. C’est, d’ailleurs, la solution la plus appropriée pour assurer le développement économique et social du Royaume.

Le Maroc s’est engagé dans un projet de grande envergure, celui d’élaborer un modèle marocain en matière de décentralisation et de régionalisation. De ce fait, il est impératif que toutes « les forces vives de la nation » s’impliquent davantage pour permettre au Royaume de relever l’un de ses plus grands défis.

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Interlocuteur

Dr. Helmut Reifeld

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