En Europe, la question des frontières est loin d’être secondaire. Selon le Parlement européen, les régions frontalières couvrent environ 40 % du territoire de l’Union européenne (UE), concentrent 30 % de sa population et produisent près d’un tiers de son produit intérieur brut.
Ces espaces, longtemps considérés comme des marges, sont aujourd’hui reconnus comme stratégiques, tant pour leur poids économique que pour les enjeux sociaux, culturels et politiques qu’ils soulèvent. Autrefois perçue comme une réalité strictement locale ou régionale, la vie à la frontière tend à devenir un véritable objet de politique européenne. Si les situations diffèrent d’une frontière à l’autre, elles mettent souvent en lumière de manière aiguë les défis structurels de l’intégration : reconnaissance des qualifications professionnelles, accès transfrontalier aux droits sociaux, ou encore gestion du plurilinguisme.
C’est dans cette perspective que l’article aborde la question frontalière, en s’intéressant autant aux réalités concrètes qu’aux imaginaires qui les traversent. Il revient d’abord sur l’effacement progressif de la matérialité des frontières intérieures, autrefois lignes de séparation entre États et symboles de souveraineté, progressivement reconfigurées comme espaces de coopération au sein du projet européen. Porté par l’idéal d’unité, ce processus a fait de la frontière non plus un obstacle, mais un lieu d’échange et de circulation – du moins dans le discours pro-européen. Ce symbole de l’intégration est toutefois fragilisé par des dynamiques de repli. Si certaines frontières s’estompent, d’autres se renforcent : les frontières extérieures prennent une importance croissante, tandis que les frontières intérieures demeurent des repères dans la gestion des politiques publiques et la structuration des démocraties nationales.
Claire Demesmay est experte en matière de coopération franco-allemande, directrice de l’Institut français de Bonn ; elle a été titulaire de la chaire Alfred Grosser de Sciences Po Paris en 2024-2025 et est chercheuse associée au Centre Marc Bloch de Berlin. Ses recherches portent sur la coopération franco-allemande en Europe, la politique européenne et étrangère de la France et de l’Allemagne, ainsi que les attitudes des jeunes et le rôle de la société civile dans les relations internationales.