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Le mal transhumant

Les infidélités politique dans le Bénin démocratique par François K. AWOUDO

La « transhumance politique », un phénomène mondial ! (En guise d’introduction)« Ce sont des bergers d’un genre nouveau qui, une boussole à la main, une calculatrice dans la tête, vont de pâturage en pâturage pour «brouter ». A l’écoute de la météo, les yeux rivés sur les sondages, ils arpentent les sentiers du nomadisme politique, comme ailleurs l’on emprunte les chemins d’alpage. Le matin, le «nomade » politique flirt avec l’opposition, l’après-midi, il se laisse séduire par le pouvoir. Puis, déçu de ne pas avoir été bombardé ministre, il renoue avec ses premières amours, qu’il délaissera à la première occasion pour les allées du… pouvoir. Le nomade politique s’installe là où l’herbe pousse. Si quelques rares ministres refusent obstinément de verser dans le nomadisme, la plupart ont rejoint les rangs du parti présidentiel ». (1) Mon confrère Francis Kpatindé ne pensait pas si bien faire en écrivant ses phrases pleines d’humour au plus fort de la transhumance politique au Bénin. Moins d’une décennie plus tard, la propension au perpétuel mouvement de balancier, des élus du peuples ou des militants des partis, tout court, est devenue l’une des menaces majeures de la démocratie en Afrique. Au point où Gatien Houngbédj, homme d’affaires béninois, ancien ministre et chef d’un parti soutenant l’action de Mathieu Kérékou, lâcha à la face du monde au lendemain d’un cuisant échec aux législatives de 1999 : « Qu’ai-je gagné dans mon appartenance à la mouvance présidentielle ? Alors que je proposais des projets aux conducteurs de Zemidjan (2), le président de la République les renvoie au champ. Nous qui n’avons rien gagné, nous sommes encore plus libres de retourner notre veste ». (3)|||(1) Francis Kpatindé, «Nomadisme politique », in Jeune Afrique, n° 1779 du 9 au 15 février 1995, p. 35; (2) Conducteurs de taxi-moto; (3) Conférence de presse donnée au lendemain des législatives de mars 1999

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Préface

par Klaus D. Loetzer

Cela n’arrive pas souvent, hélas, au Bénin, qu’un journaliste, historien du présent, ouvre les yeux sur son temps et se résolve à en dénoncer les infirmités. C’est ce que fait pourtant ici, François Awoudo, à travers ce livre intéressant et simple, rédigé dans un style délibérément simple comme pour mieux stigmatiser à l’adresse de tous, les profondeurs d’un mal assez grave.

Refusant complaisance et concessions, l’auteur investi, avec force documentation et un sens sourcilleux de la précision, l’univers de l’immoralité politique dans son pays le Bénin et ailleurs en Afrique, en conspuant un phénomène qui y est d’autant bien connu qu’il a fini par devenir pour beaucoup, une sorte de posture politique, celle de la «transhumance». La transhumance est, dans le vocabulaire agricole, la migration périodique des troupeaux à la recherche, on l’imagine, d’espaces plus favorables à leur sustentation et à leur épanouissement. Par analogie, la «transhumance » politique est cette attitude individuelle ou collective de se mouvoir d’un groupe politique à un autre, d’une affiliation à une autre et de façon intempestive, des hommes et des femmes engagés dans la vie publique.

Evitant de se complaire dans les aspects accessoires liés au choix à faire entre les vocables transhumance et nomadisme politique, François Awoudo a préféré suivre l’opinion publique béninoise qui a adopté l’appellation « transhumance » nettement plus péjorative, pour lancer à tire-larigot ses salves sulfureuses sur une pratique qui le méritait.

Rarement, c’est vrai, les journalistes béninois auront embouché le cor de la polémique à travers un ouvrage qui s’y consacre entièrement ; ce jeune auteur sort du cadre des articles de presse assujettis à la pression du temps et de l’espace, pour raconter l’histoire des infidélités politiques depuis le Dahomey post-indépendance au Bénin démocratique. Ce livre est une véritable anthologie d’anecdotes riches en chausses-trappes, en reniements, en trahisons, en adhésions et revirements, délicieusement relatés par un témoin de son époque qui vient de révéler son talent en matière de récit. Car ce qui fait aussi la force de cet ouvrage qui a tout pour s’imposer et devenir majeur, c’est le rythme qui l’accompagne : un souci chronologique porté par des phrases simples, allant crescendo par intermittence, sous la pression de l’indignation.

Emile Zola qui était un grand témoin de son temps avait pour devise : «Vivre indigné ! », en d’autres termes, avoir le souci de la dénonciation et de la critique.

Caustique à souhait, François Awoudo ouvre pour nous, et dans le périmètre de son influence, la route de cette devise. Et c’est pour cela que je pense que son livre si riche et si dense, laisse présager des 18 Brumaire médiatiques à répétition dans la dénonciation d’une classe politique africaine trop arrimée encore aux facilités. Mais la démocratie est un long apprentissage, et l’auteur ne nie pas que les vieilles démocraties occidentales sont aussi passées par les tentations de l’infidélité politique et de l’insatisfaction partisane qu’elles n’ont pas fini de surmonter. La transhumance ou nomadisme politique n’est donc pas l’apanage exclusif des politiciens d’Afrique ou du Tiers-monde, reconnaît François Awoudo ; et j’ai hâte d’ajouter qu’il a raison. Mais ceux-ci les ont poussés à leurs extrémités caricaturales, et c’est précisément ce qui, ici, dessert la crédibilité et le sérieux des valeurs démocratiques.

Il faut, je le crois aussi, lire ce livre comme un plaidoyer pour conjurer cette dépréciation, et faire des démocraties africaines, de véritables modèles de dignité, de respectabilité et de progrès.

C’est à la lumière de ces considérations que la Fondation Konrad Adenauer soutient la parution de cet ouvrage.

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